M. et Mme Arbo, producteurs de vin rouge de Bordeaux nous racontent
leur expérience
Drôle d’idée de vouloir accueillir dans ses vignes des chauves-souris, pas spécialement réputées pour leur mignonnerie? Au contraire ! Ce mammifère est un véritable régulateur d’écosystème et permet de combattre les nuisibles, notamment certains insectes dévastateurs. C’est l’expérience qu’ont fait Bernadette et Joseph Arbo, couple de vignerons, propriétaires des Vignobles Arbo en Gironde.
Un mammifère mal-aimé
La chauve-souris, espèce appartenant aux groupes des chiroptères, a depuis longtemps mauvaise presse. L’unique mammifère volant du règne animal a pourtant pleins de qualités méconnues. Contrairement à ce que l’on dit d’elle, la chauve-souris n’est pas aveugle mais déteste être éblouie. Elle se déplace grâce aux ultrasons : des cris qu’elle va pousser et dont l’écho va lui permettre d’identifier les obstacles. A moins d’être attaqué, ce chiroptère n’est pas agressif, ne vient pas s’agripper aux cheveux, et n’a aucune raison de vous mordre donc à priori de vous transmettre une maladie.
On accuse aussi la pauvre chauve-souris de vampirisme, là encore c’est une légende urbaine. La chauve-souris ne se se nourrit pas de sang frais humain, mais, particulièrement en Europe, d’insectes. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle tend à disparaître ces dernières années, la faute à l’agriculture intensive, aux insecticides et à la destruction de ses habitats.
Un animal utile aux vignes
Pourtant la nature est souvent bien faite et si les chauves-souris mangent certains insectes, c’est qu’elles font partie d’un écosystème vertueux. En France, elles sont d’ailleurs protégées par la loi : il est interdit de les tuer ou de les perturber intentionnellement.
Cette notion d’écosystème vertueux a toujours parlé aux Arbo, vignerons en appellation Francs-Côtes de Bordeaux et Castillon Côtes de Bordeaux. Ce couple d’abord citadin à Toulouse, reprend les vignes familiales en 1987. Très vite, ils décident de changer le mode de culture « À cette époque-là, mon père labourait à 100% les vignes et faisait du désherbage intégral, petit à petit on a ré-enherbé » raconte Bernadette Arbo.
Après l’herbe, le couple s’intéresse à l’agro-foresterie, et plante des haies de noisetiers, d’aubépines, des baies rouges, le tout au milieu du vignoble pour ramener de la biodiversité et aussi des chauves-souris. «On a essayé de mettre en place un retour à l’écosystème comme il existait il y a plus de 100 ans. À l’époque on utilisait beaucoup moins de pesticides. C’est une hérésie d’avoir un sol nu et des pesticides, comment le sol fait pour les digérer ? » se désolait l’agriculteur. En remettant des arbres, le couple va aussi remettre du vivant dans ses vignes. Grâce à cette biodiversité, les vignes des Arbo sont étudiées par des étudiants de l’INRA depuis 8 ans, chaque étudiant amène son sujet d’étude. Le dernier en date ? Les chauves-souris et les vignes.
Des dévoreuses d’insectes
« On ne met plus d’insecticides depuis 15 ans sur nos vignes mais nous avons deux insectes : l’eudémis et la cochéllis. Ce sont deux petits papillons qui pondent sur les raisins et qui, aux vendanges, vous amènent la pourriture. Nous nous sommes demandé si les chauves-souris étaient capables de les manger, car on sait qu’elles peuvent dévorer 300 à 400 papillons en une nuit ! » explique le vigneron.
Pour enquêter sur la vie nocturne de ces petits mammifères, un spécialiste de l’INRA a donc placé des magnétophones qui fonctionnent la nuit et vont enregistrer le bruit des chauves-souris pendant 4 ans. Quand elle mange un insecte, la bête émet un bruit en ultrason enregistré dans le boîtier. Ces boitiers sont ensuite analysés et permettent de comptabiliser le nombre d’espèces et leur comportement dans les vignes. Cela est aussi un pas pour comprendre comment sauvegarder ces mammifères dont le nombre ne cesse de diminuer ces dernières années.
«Les chauves-souris aiment se nicher dans les trous des bâtisses, les vieilles granges etc. Le problème est que ce type d’habitat tend à disparaître. Les gens rénovent tout, moi j’ai gardé une maison à trous ! » explique Joseph Arbo.
Une autre difficulté est liée à leur mode de déplacement. Ces mammifères se meuvent grâce aux ultrasons que les obstacles qu’ils rencontrent leurs renvoient. Mais sans obstacle, comment se déplacer ? « Vous n’aurez jamais une chauve-souris sur un champ de maïs, mais si vous avez des haies ou des arbres elles vont aller se promener ! » raconte le vigneron. Ces prochaines années l’agriculteur va donc continuer à créer un environnement adéquat pour les encourager à venir chasser dans les vignes. « J’ai un programme de plantations de 50 arbres sur trois ou 4 rangs de vignes.»
Passionnés par toutes ces découvertes, les Arbo comptent bien continuer à travailler avec l’INRA, et cela même si certains habitants du coin les prennent pour des hurluberlus : « Nous sommes des précurseurs dans la région mais on est mal vus car certains considèrent nos vignes sales à cause des herbes ». Cela n’empêchera pas les vignerons de continuer à défendre la biodiversité pour la planète et aussi pour la qualité de leurs vins qui, selon eux, se sont améliorés grâce à leurs pratiques ! Une raison de plus, d’aimer les chauves-souris.